Wong Langit (Punans chants of Kalimantan)

Wong Langit est un projet de création musicale électroacoustique pour prise de son et haut-parleurs. Créée à partir d’enregistrements de terrain (phonographies) et de sons électroniques, cette pièce exclusivement sonore est inspirée par les travaux de l’anthropologue canadien Eduardo Kohn et de son livre Comment pensent les forêts. Le projet Wong Langit (“les hommes du ciel” en indonésien), émerge de questionnements soulevés par l’anthropologue quant aux relations qu’entretiennent certaines populations forestières tropicales avec les entités vivantes non humaines peuplant leur environnement.

Ayant pour finalité une forme jouable en public, cette création se compose d’enregistrements sonores réalisés dans les forêts ombrophiles de l’île de Bornéo, où vivent les peuples autochtones Punans et Dayaks. Non documentaire, Wong Langit est une transcription de subjectivités humaines et non humaines par le son, dans un contexte singulier. Se positionnant comme une œuvre sur l’écoute et sur la façon dont cette dernière influence les comportements au-delà des structures sociales, elle affirme la pratique du microphone comme un mode d’écriture à part entière. Ici, l’expérience de terrain doit se transmettre au public dans une forme faisant l’économie d’un maximum d’éléments visuels. Cette création s’inscrit dans la suite directe de repérages réalisés sur zone en 2019, grâce à l’obtention d’une bourse de la Villa Médicis « Hors les murs ».

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Sa recherche s’est matérialisée au début des années 2000 par un travail de terrain mené chez les Runa d’Avila d’Équateur. Travaillant avec ce peuple amérindien pour tenter de comprendre comment la forêt influence sa structure et comment, inversement, cette dernière est modulée par la présence des humains, Kohn établit un système de « lecture » de la forêt à partir de correspondances d’éléments signifiants pour les uns et les autres.

Il s’agit donc, dans un premier temps, d’enregistrer ces espaces au contact des populations qui y vivent…

Contrairement à ce qui est souvent véhiculé dans ce type de travaux, un « terrain » n’est jamais exclusivement « humain » ou « naturaliste ». La compréhension du milieu nécessite un constant aller-retour entre des mondes intrinsèquement liés. Dans Wong Langit comme dans la plupart de mes travaux, ce sont bien les hommes qui guident à travers l’environnement, et les êtres habitant cet environnement qui conditionnent la progression.

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Eduardo Kohn soulève dans son ouvrage que la vie est intrinsèquement sémiotique et que les relations entre les êtres vivants et les éléments constituant leur cadre de vie sont fondés par des schèmes de réactions à des signes, des indices, des symboles.

L’anthropologue souligne néanmoins dans la continuité de l’anthropologie moderne, dite post-dualiste, que ces relations prennent un sens autrement plus fort dans les sociétés humaines dites animistes (celles pouvant attribuer une intériorité humaine à des êtres non humains comme les animaux, les plantes ou les esprits).

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La lecture de l’ouvrage résultant de ses travaux dans Comment pensent les forêts publié en 2017 aux éditions Zones Sensibles, a fait écho à nombre de questionnements qui me sont chers. Ces questions sont relatives à l’écoute, mais aussi à la pratique de la captation du son au dehors. Au terme de plus de vingt années de travail de terrain, il est en effet évident pour moi que la pratique du microphone est, au-delà d’affects culturels, muée par différents types de stimulus auditifs existant au-delà des espèces et actionnant des réflexes anciens.

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Wong Langit est né de cette idée en 2018, projetant l’approche sémiotique de Kohn sur l’écoute des forêts ombrophiles de l’île de Bornéo. Après un dialogue engagé avec Edmond Dounias, représentant pour l’IRD (Institut Recherche et développement) en Indonésie et ethnobotaniste spécialiste des Punans Tubu, j’ai pu monter un premier projet de repérage dans le Kabupaten (district) de Malinau, au Nord est de Kalimantan (partie indonésienne de Bornéo). Cette phase de repérage a été possible grâce à l’obtention d’une bourse de recherche « Hors les Murs » attribuée par l’Institut Français/Villa Médicis. Ces repérages ont eu lieu en novembre 2019 aux cours de deux expéditions menées sur les rivières Tubu et Malinau.