l’Auduberthe à roue

La genèse du projet

En 2011, j’ai initié l’orchestre Bobbyland sur un mode participatif avec Rasim Biyikli (dans le cadre d’une Création partagée de la Ville de Nantes). Nous avons récupéré des instruments de musique et convié les participants à les agrémenter de moteurs de différents types (moteurs cc axés ou non, solénoïdes, servomoteurs, essuie-glaces, lève-vitres…) qui mécaniquement génèrent des sons, afin de créer une composition d’orchestre contrôlée par informatique. Ce fut pour tous un véritable laboratoire qui en fonction des envies particulières a permis de développer une connaissance de la musique expérimentale, de la nouvelle lutherie ou de la programmation informatique. J’ai pour ma part mis l’accent sur l’aspect mécanique, motivé par la découverte de nouveaux moteurs générant de nouvelles actions et créant de nouveaux sons. J’ai porté mon dévolu sur une contrebasse que j’ai motorisée sur le principe de la vielle à roue, alliant ainsi mes velléités manuelles et mon grand désir de travailler la musique dronique. Elle s’est retrouvée affublée du nom d’Auduberthe en référence au musicien qui en jouait avant qu’elle ne soit cassée (P. Audubert).

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L’Auduberthe a connu un développement particulier hors du cadre de l’orchestre Bobbyland car j’ai eu le désir de la jouer et de composer avec dès sa création. Plusieurs opportunités se sont présentées en correspondance avec le potentiel de l’instrument : le travail sur la temporalité (durées longues), et sur l’espace sonore (drone).

  • Concert XPRMNTL (Jérôme Joy, Christophe Havard, Anthony Taillard) de 12 heures en clôture de l’exposition de Neil Beggs, à la Galerie Paradise (Nantes, 2013). Un album vinyle 33T a été édité en série limitée (50 exemplaires, tirage d’artiste), témoignage des performances qui ont jalonné et nourri l’exposition. On y entend les 10 dernières minutes du concert. 
  • Concert XPRMNTL de 6h lors de l’exposition de David Ryan et Jérôme Joy, au Palais de Tokyo (Paris, 2016) avec Keith Rowe en invité.
  • Concert solo et rencontre improvisée avec Yann Gourdon (vielle à roue) et Antez (percussion), à Bitche (Nantes, 2013).
  • Concert solo, à APO33, lors du festival Electropixel #7 (Nantes, 2017), première véritable composition pour l’Auduberthe.

Concert Dédale en duo avec Rasim Biyikli, au Lieu Unique, dans le cadre du festival Variations (Nantes, 1er avril 2023)

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L’Auduberthe a été améliorée durant la création de Dédale (création 2023 au Lieu Unique avec Rasim Biyikli) : j’ai optimisé la roue moi-même et confié le réglage d’un nouveau chevalet et d’un sur-sillet à l’Atelier Vincent Schryve à Nantes. L’Auduberthe en est actuellement là de son développement. Maintenant, il consiste à faire de ce prototype un instrument plus versatile et modulable. 

Elle mérite un travail de luthier aguerri qui ira au-delà des possibilités qui sont les miennes avec mes connaissances et les outils dont je dispose au Studio d’en Haut. L’idée a été présentée à Léo Maurel, facteur de vielle à roue et artisan audacieux qui a tout de suite été séduit par cet instrument. Il propose de m’accueillir à son atelier de Dangolsheim (67 – proche de Strasbourg) pour m’initier à l’utilisation des tours à bois et à métaux, et aux réglages de la vielle à roue. La durée de ce stage sera de trois jours du 19 au 21 février 2024.

Précisément, le travail va porter sur :

  • L’amélioration du frottement des cordes : optimisation de la roue, réglage du chevalet.
  • La réflexion sur système de jeu sur le manche afin d’ouvrir le jeu en accords.
  • L’optimisation des cordes sympathiques et du système d’archet motorisé qui peut en jouer.
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Jusqu’à l’année dernière, seule la roue en frottement sur les cordes était en place et gérée informatiquement par un système de contrôle MIDI et des interfaces de puissance avec les modules élaborés par Interface-Z,. Cela s’inscrivait pleinement dans les projet préalables Bobbyland, et Dédale où l’Auduberthe était un élément constitutif d’un orchestre automatisé. La création de Dédale m’a permis de développer un autre mode d’action musical (la frappe des cordes) via l’installation de quatre solénoïdes (électro-aimants) dédiés à chaque corde.

L’autonomisation de l’Auduberthe : motorisation par système modulaire

Depuis trois ans, j’ai souhaité me confronter à un domaine qui m’attire depuis longtemps, à savoir l’utilisation d’un système de synthèse modulaire, mais avec le désir de le mettre en lien avec mon dispositif existant, et non de me l’approprier en instrument de synthèse tel quel. Cela m’a paru évident quand Koma a développé le Field Kit auquel j’ai tout de suite souscrit en 2017. Avec ce seul instrument que je qualifie de « boite à outils », je pouvais aborder l’expérience modulaire en y intégrant mon jeu musical via la mixette 4 entrées. Je bénéficie de la possibilité de contrôler des moteurs via générateur d’impulsion (LFO, VCA, PWM) qui peut aussi répondre à différents capteurs. L’extension Field Kit FX mise sur le marché peu après, ouvrait exponentiellement les possibilités avec ses effets et surtout son séquenceur.

La réflexion sur cet aspect s’est faite avec Jean-Paul Bourganne, ingénieur électronique retraité de l’École centrale de Nantes avec qui nous avions organisé un programme de cours d’électronique (gratuits, ouverts à tous) au Studio d’en Haut en 2017-18. Et la concrétisation s’est effectuée avec Sylvain Mahé, électronicien et informaticien autodidacte qui collabore maintenant avec le Studio. Mon souhait était de pouvoir contrôler des moteurs plus puissants que le 9V intégré au Field Kit, et aussi de créer une extension qui permettrait d’utiliser simultanément plusieurs moteurs (moteurs cc, solénoïdes). Le prototype d’un module Eurorack de contrôle Pulse/PWM est efficient et a subi de nombreux tests très concluants. Deux de ces modules équipent maintenant l’Auduberthe. Une réflexion devrait se poser sur le développement commercial de ces modules, mais nous sommes trop éloignés de ce domaine. Cependant l’intérêt qu’ils ne manquent pas de susciter auprès de la communauté des musiciens utilisateurs de systèmes modulaires devrait garantir des interventions pédagogiques et techniques auprès de ce public.

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La dimension scénique

Au niveau scénique, l’Auduberthe sera toujours disposée à plat sur stand de clavier et j’en jouerai debout, pouvant aisément passer de l’instrument au contrôleur disposé très proche, ou en les maniant simultanément. Le rapport au public est préférablement frontal pour qu’il puisse voir les manipulations sur l’instrument, et comprendre sa mécanisation. Je vais m’orienter en premier lieu vers des concerts solo (40 minutes) qui vont associer différents types de jeux dans une narration musicale.

Le point le plus essentiel des changements récents opérés sur l’Auduberthe réside dans sa mise en lien avec le système modulaire au format Eurorack. Il s’agit là d’une véritable bascule qui a rompu la dépendance de l’instrument à l’informatique et l’a mis en lien avec les outils de la musique électronique analogique. Basé sur le principe de mise en rhizome des modules par un système de patch câblé, il ouvre la voie aux collaborations avec des musiciens évoluant dans ce domaine. Cet aspect sera exploité à moyen terme avec la recherche de partenariats autour de résidences partagées avec des artistes pratiquant la synthèse analogique. Il est fort probable que ce volet intéresse les professionnels au sein des CNCM et des scènes et festivals dédiés aux musiques électroniques.